Je le fixe, comme si il était fou. Je n'ai pas halluciné, j'en suis sûre. Je n'oublierai jamais ce regard.

- Je n'ai pas eu d'hallucination, ses yeux sont blancs.

Il ne répond pas, sûrement trop troublé par ce que j'affirme pour riposter. Il se contente de baisser les yeux en hochant lentement la tête. 

- Je te crois. C'est juste... tu es la seule à avoir vu ses yeux blancs. 

Je prend un grande inspiration.

- Ok. C'est rien. Je... j'ai besoin de me reposer. 

Il me jette un regard empli de compassion. 

- Il semble qu'on va devoir retourner à Érédia plus tôt que prévu, ajoute-t'il après un soupir. 

Il se redresse ensuite et m'adresse un signe de la main en me disant au revoir. Je lui rends son au revoir et m'allonge dans le canapé en fermant les yeux. Je m'endors sans m'en rendre compte. Quand j'ouvre les yeux, il fait nuit. Je tourne la tête et remarque tout de suite que je ne suis pas chez moi. Je m'assis et observe tout autour de moi. Une pièce sombre, avec plusieurs cartons empilés contre le mur en face de moi. La table sur laquelle j'étais allongée se trouve au plein milieu. Il fait extrêmement froid. Je frissonne et frotte mes mains contre mes bras pour me réchauffer. Mes mains touchent un tissu rugueux, et fin. Certainement pas mes vêtements. Je baisse les yeux pour observer ma nouvelle tenue. Je suis pieds nus et a pour seul vêtement un vieux tee-shirt gris et usé qui m'arrive un peu au dessus des cuisses. Je pose les pieds par terre et un spasme me parcoure, comme un coup de jus qui ferait effet dans tout le corps. Je ferme les yeux l'espace d'une seconde et quand je les rouvrent, un miroir se trouve en face de moi, à l'endroit où les cartons étaient avant. Il fait toute la largeur du mur. Je m'observe un moment, sans me reconnaître. Mes cheveux sont détachés et en batailles, mon visage s'est creusé et j'ai la peau pâle, comparable à celle d'un mort. J'ai aussi l'air d'avoir maigri, beaucoup. Je tends la main vers ce miroir au coins fissurés et au moment où je pose les doigts dessus, une ombre passe derrière moi. Je sursaute et me retourne, en enlevant la main du miroir. 

- Il y a quelqu'un ?, demandé-je, avec une voix rauque non voulue. 

J'avance lentement dans la pièce, cherchant une quelconque possibilité de sortir ou même d'entrer. Rien. Je suis enfermée, seule, et je suis gelée. Pourtant, je ne suis pas effrayée. Je ne ressens aucune panique ni peur. Un courant d'air passe derrière moi et je me retourne. Je sursaute à la vue de cette femme. Elle est un peu plus grande que moi, et porte une longue robe noire. Elle est mince et belle, et semble avoir dans les quarante ans. Elle a les cheveux bouclés et noirs et des yeux bleus. Pas d'un bleu comme on peut le voir chez certaines personnes, mais bleus éclatants, qui brille tel une pierre précieuse d'apatite (dont j'ai appris le nom en cours de SVT) et qui sont mis en valeur par ses longs cils noirs battant comme les ailes d'un papillon. Elle a une bouche charnue recouverte d'un rouge à lèvres couleur sang et un petit menton fin. Elle me regarde, avec un sourire serein sur le visage. 

- C'est bien toi, me dit-elle avec une voix calme et cristalline. 

Elle tend sa main vers moi, comme pour se prouver à elle-même que je suis bien réelle. Je ne songe même pas à reculer. Au moment ou ses doigts parviennent presque à ma joue, son visage se teint de panique et elle me jette un regard horrifié, en disparaissant petit à petit en fumée. Seuls ses yeux d'un bleu inoubliable persistent avant de disparaître à leur tour. Je reste tétanisée, sans pouvoir bouger, puis je sens des mains invisibles me secouer par les épaules. Je sursaute et me lève d'un coup. Jake agrippe mes épaules avec force et me jette un regard inquiet. Je regarde autour de moi. Mon appartement. J'étais en train de dormir, dans mon canapé. Tout n'était qu'un rêve. Je regarde Jake. 

- Ça avait pourtant l'air si réel..., dis-je d'une voix étranglée. 
- Ce n'était qu'un rêve, Heaven. Un rêve, m'affirme-t'il en fronçant les sourcils. 

Il enlève les mains de mes épaules et je replis mes genoux contre ma poitrine. 

- Comment ça se fait que tu sois là, d'ailleurs ?, demandé-je, en essayant de paraître le plus naturel possible.
- J'avais oublier de te dire quelque chose, et je t'ai trouvé en train de bouger comme une folle dans ton canapé en gémissant. Je t'ai appelé pendant un bon moment en te secouant mais rien ne te réveillait. J'ai commencé à m'inquiéter puis d'un coup tu t'es calmée, alors j'ai attendu. 
- Qu... (je laisse ma phrase en suspens) 
- De quoi tu as rêver, Heaven ? 

J'hésite à répondre. 

- De rien. C'était juste un cauchemar comme les autres, menti-je. 

Je ne sais pas pour quelle raison j'ai menti, mais je sais que c'était le bon choix à faire. Jake me regarde, et je soutient son regard sans ciller. 

- D'accord. J'avais cru que c'était plus important que ça, dit-il enfin. 
- Non, un cauchemar, c'est tout.
- Si tu le dis... Bon, je vais te laisser alors. 

Il se lève et se dirige vers la porte d'entrée. 

- Non, attends. 
- Oui ? 
- Qu'est ce que tu voulais me dire quand tu es revenu ? 
- Rien, laisse tomber finalement. A plus. 

Et il s'en va, me laissant seule, dans le silence.