J'ouvre les yeux et me relève d'un coup. Je suis toujours dans la forêt, mais plus au même endroit. Mes pieds, qui sont maintenant nus me font un mal de chien. Je crois que j'ai marché, sans le savoir. Je ne me rappelle de rien après la dryade.
Le soleil est déjà bien levé, et apparaît derrière les nuages dans le ciel gris. Je ne sais pas où aller, je ne sais pas quoi faire. Je suis complètement perdue. Je regarde autour de moi, pour trouver un repère, mais rien. Je choisis un chemin au hasard et m'engage dedans. Grosse erreur. Au bout de quelques minutes, je suis encore plus perdue. Je m'arrête et m'adosse à un arbre. Je pense aux autres, qui sont sûrement à ma recherche. Je me relève brusquement, ayant soudain une idée. Je peux essayer d'utiliser mes pouvoirs pour retrouver mon chemin. Après tout, je suis capable de beaucoup de choses.
Je ferme les yeux puis inspire et expire lentement, en me concentrant comme jamais. Je ne sais pas quoi visualiser, alors je pense à Jake, ce qui n'est pas trop compliqué. Je vois ses traits parfaits, son sourire chaleureux et son regard profond. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais en rouvrant les yeux, je sais parfaitement où aller.

Je suis assez impressionnée par ma nouvelle capacité.

Je continue ma route en accélérant. Je me faufile entre les branches piquantes, trébuche plusieurs fois sur de grosses racines bossues, et me coupe en passant à côté de gros buissons. Je ne sens plus mes pieds tant ils sont abîmés. Je crois même que je saigne.

J'aperçois finalement la sortie, et je soupire de soulagement avant de me mettre à courir.

Je suis dehors. Je ralentis et cherche des yeux Jake, ou Joyce. Personne. Pas un seul signe d'eux. Je me dirige vers la maison de Zachariah. Je monte les marches froides de l'escalier humide, en laissant quelques taches ensanglantées derrière moi. J'ouvre doucement la porte, puis tombe nez à nez avec Joyce, qui m'attire à l'intérieur en refermant brusquement derrière moi, me fixant d'une mine énervée.

- Mais t'étais où ?! s'écrie-t-elle. On a pas arrêté de te chercher ! (elle me détaille de la tête aux pieds, d'un air perplexe) Puis pourquoi t'es dans cet état ?

Jake et Zachariah débarquent dans la pièce, sûrement alarmés par Joyce, et fonce directement sur moi.

- Calmez-vous, fais-je en voyant leur air fâché. J'étais... (je détourne les yeux) dans la forêt.
- Quoi ?! s'exclament-ils tous chœur.
- Tu sais pas à quel point c'est dangereux la nuit ? renchéri Zachariah.
- Bah... non, répondis-je simplement. Puis j'ai pas trouvé Érédia si bizarre, comme vous me l'aviez dit...

Il lève les yeux au ciel en soupirant, comme si mon cas était irrécupérable, puis me lance :

- T'as l'air limite suicidaire. Tu ne connais pas Érédia, Heaven. Alors ne tire pas de conclusion hâtive.

Je le fixe quelques secondes, sans savoir quoi répondre.

- Il ne t'est rien arrivé au moins ? me demande Jake d'un air inquiet.

Si je leur parle de la dryade, je vais sûrement me faire engueuler. Je n'ai vraiment pas envie de ça. Et puis, la dryade ne m'a rien fait.

- Non, je vais bien. J'ai juste perdu mes chaussures en cours de route, fais-je finalement en baissant les yeux vers mes pieds pleins d'herbe et de sang plus ou moins séché.

Il ne me répond même pas, sûrement déconcerté.

- Va prendre une douche, t'imagines même pas la tête que t'as, me fait Joyce. Je te passerais des vêtements. Tu peux pas remettre ceux là, finit-elle en regardant mes vêtements sales.

Je hoche la tête puis me dirige vers la salle de bain. Il y a une grande baignoire, une douche aux vitres en verre et un miroir qui longe le mur. Je m'observe. J'ai une mine affreuse. Les yeux rougis et gonflés par la fatigue, les cheveux emmêlés et remplis de brindilles et de feuilles. Je me déshabille lentement, puis rentre dans la douche. Je frissonne au contact de l'eau, qui coule et se teinte parfois de rouge. Je m'accroupis et me recroqueville sur moi même, en laissant couler l'eau chaude sur mon visage. Un sentiment de nostalgie me prend soudainement. J'imagine ce que aurait été ma vie sans mes pouvoirs, sans magie. Sans connaissance de ce monde si plein de mystère.
Ridicule.
Je me relève et continue de me laver.

Ma douche finie, je m'essuie, mets mes sous-vêtements puis enroule la serviette autour de moi histoire de ne pas sortir à moitié dénudée. Je lance une dernière fois un regard dans le miroir maintenant embué, avant de ramener mes cheveux sur le côté, en éclaboussant le carrelage au passage.
Je sors de la salle de bain en laissant quelques goutte d'eau derrière moi, et me dépêche d'aller à la chambre de Joyce, pour ne pas croiser Jake ou Zachariah et me retrouver dans une situation embarrassante.
Je frappe à la porte, et quelqu'un vient m'ouvrir. Comme par hasard, c'est Jake. Il me détaille de la tête aux pieds, en haussant un sourcil sans dire un mot. Voilà la situation que je voulais à tout prix éviter. Non que ce soit dérangeant qu'il me regarde comme ça.
Je lève les yeux au ciel, et tape du pied pour lui faire comprendre de me laisser entrer. Il laisse échapper un petit rire amusé avant de s'écarter.
Joyce est assise sur le lit, les jambes croisées, et Jake s'adosse au mur près de moi. Zachariah n'est pas là, je suppose qu'il est sorti et ne demande pas pourquoi.

- Pourquoi il est là ? demandé-je à Joyce en désignant Jake du menton.
- On sait qu'il s'est passé quelque chose dans la forêt, lance Jake. On est pas dupes.

Je tressaille à ses paroles. Comme si ils pouvaient lire en moi, en particulier Jake. Je ne peux pas lui mentir, c'est impossible pour moi. Je soupire, puis décide de leur avouer, au risque de m'en prendre plein la face.

- Ok, c'est bon vous avez raison. Il s'est bien passé quelque chose, mais rien de grave.
- On t'écoute, fait Joyce en me regardant avec attention.
- Une dryade, c'est pas dangereux, hein ?

Ils restent silencieux un moment, avant de se jeter un coup d'œil et de prendre la parole.

- Heaven ! s'exclame Joyce d'un air réprobateur. Les dryades sont des créatures maléfiques, et très dangereuses !
- S'il te plaît dis moi qu'elle ne t'as pas touchée, m'adresse Jake d'un ton inquiet.

Je ne réponds pas, gênée et inquiète, me contentant de le regarder en essayant de me faire toute petite. Mais ça ne sert à rien.

- Elle t'as touchée, devine Joyce, soudainement très tendue.
- Oui, fais-je d'une petite voix.
- Où ? me demande Jake, nerveux.

J'indique lentement ma clavicule, et Jake s'approche de moi et m'examine -moment très gênant, au passage-, sous le regard attentif de Joyce. Jake pousse un long soupir, puis s'écarte.

- Tout va bien, elle n'est pas marquée, souffle-t-il en lançant un regard à Joyce, qui se détend à cette annonce.
- Ça veut dire quoi, marquée ? questionné-je.
- Si une dryade te touche, et te transmet ainsi son venin, elle peut te marquée, ce qui signifie qu'elle t'as enlevé ton âme, et que ta mort est imminente. Ce sont des créatures vicieuses et dénuées de tout sentiment, ne te laisse pas amadouer par leur beauté. Tu as eu de la chance, elles épargnent rarement. Tu ne dois pas avoir une âme appétissante.
- Oh, laissé-je échapper. Alors tout va bien, vous voyez, je n'ai rien.
- Ne retourne plus jamais dans la forêt seule. Tu es trop inexpérimentée, conclut Joyce.

Je hoche lentement la tête, puis la relève brusquement, me rappelant de quelque chose.

- J'ai réussi à retrouver mon chemin grâce à un nouveau pouvoir, lancé-je soudainement.

Jake et Joyce me dévisagent, les sourcils froncés.

- Comment tu as fait ? me demande Jake, avec un brin de surprise dans la voix.

Je ne vais pas lui dire que j'ai pensé à lui, alors je déforme un peu la réalité.

- J'ai tout simplement pensé à vous en me concentrant, et la bonne direction s'est présentée à moi, répondis-je en haussant les épaules.
- Et ben, bien joué, me fait Joyce.
- Ce n'est que le début, tu vas acquérir encore de nouveaux pouvoirs, et ça va venir rapidement à mon avis. Tu devrais commencer à travailler avec Zac, car ils commencent déjà à arriver et vont être de plus en plus puissants, et de plus en plus incontrôlables, dit Jake d'un ton sérieux.
- Je le sais, laché-je, un peu exaspérée par le fait que tout le monde me répète ça sans cesse. Et je suis prête pour mon « entraînement ».
- Bien.

Un bref silence s'installe, que je m'empresse de briser.

- Jake, tu peux sortir ? Je commence à avoir froid, et j'aimerais m'habiller.
- Oh, oui. Bien sûr, répond-il d'un ton légèrement gêné en se dépêchant de sortir de la pièce. De toute façon j'ai quelque chose à faire.

Je me retrouve seule avec Joyce, qui me lance un sourire et se lève en se dirigeant vers sa penderie. Elle m'en sort une tenue noire, simple et jolie. Cette couleur semble la favorite ici.
Je défais la serviette auparavant autour de moi, puis enfile les vêtements.

- Merci, fais-je.
- Arrête de tout le temps remercier tout le monde, me dit-elle en guise de réponse.

Je ne réponds pas, puis lui fait un signe de tête avant de me diriger vers la porte, mais Joyce m'en empêche.

- T'es amoureuse de Jake, pas vrai ? fait-elle.

Je sursaute et me retourne vers elle, les yeux exorbités.

- Hein, quoi ? Non, non, balbutié-je.

Elle me regarde en haussant les sourcils. Grillée.

- On me la fait pas, Heaven. J'ai bien vu comment tu le regardais.

Je reste silencieuse un moment.

- Je sais pas si je suis vraiment amoureuse, mais c'est vrai qu'il me plait. T'es contente ?

C'est vrai, après tout, amoureuse est un grand mot. Puis, je le connais depuis une semaine, c'est impossible aussi vite.

- Bah voilà, tu l'avoue au moins, me fait-elle avec un sourire, apparemment fière d'elle.
- Pourquoi tu voulais savoir ça ?
- Pour rien, je voulais juste être sûre. Fais attention avec lui, continue-t-elle avec cette fois un air beaucoup plus grave. il cache des choses bien plus sombres que tu ne l'imagine. Des choses que même moi je ne connais pas. Il n'est pas aussi parfait que tu le crois.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas.

- Qu'est ce que tu veux dire par là ?
- Juste qu'il à sa part d'ombre aussi.

Je me mords la lèvre inférieure, puis ouvre sa porte et sors sans un mot. Je vais dans ma chambre pour m'habiller, et en ressors sans savoir quoi faire. Zachariah n'est pas rentré, Jake est introuvable et Joyce est restée dans sa chambre à lire. Je me retrouve donc toute seule, et affamée. Je cherche dans la cuisine quelque chose de mangeable, mais en vain. À croire qu'il ne mange rien à Érédia. Je décide d'aller demander à Joyce où trouver de la nourriture.

Arrivée à sa chambre, je toque et j'entend un petit « Entrez. ». J'ouvre donc la porte, et trouve Joyce assise sur son lit avec un livre dont je ne connais pas le titre.

- Tu sais où on peut manger, ici ? demandé-je.

Elle me lance un regard amusé, puis se lève et sors un sandwich de son sac avant de me le tendre.

- La nourriture est infecte, ici. Tu serais surprise de tout ce qu'ils peuvent avaler, fait-elle avec une grimace.
- Je ne préfère pas savoir.
- Sinon, tu comptes faire quoi aujourd'hui ?
- Aucune idée. Je vais peut-être visiter Érédia...
- Pas la forêt, Heaven, m'avertit Joyce. Tu peux te promener où tu veux, mais ne t'approche plus de la forêt.

Je lui lance un « Ok. » avant de refermer la porte.
Je décide donc de sortir et découvrir un peu Érédia. J'entame le sandwich et sors de la maison.

Je descends en hâte les escaliers, et sens l'air frais mais agréable me caresser doucement le visage. Le village grouille de monde. Je remarque es dizaines de fées volent en groupe autour de moi, deux gobelins à l'air courroucé semblent se disputer, et quelques créatures qui passe tranquillement. Il y a une grande femme au cheveux très court et d'une couleur improbable, aux airs supérieurs et semblant pressée, une petite fille avec des couettes roses et une petite robe blanche trottinant un petit sourire malicieux sur le visage, un homme assez séduisant à la peau orangée et aux longs cheveux couleur de jais, affichant un visage distrait, sûrement par la jolie brune avec qui il parle.

Je continue mon chemin, en regardant autour de moi. Je me promène tranquillement en mangeant mon sandwich. La ville est assez petite, et plutôt simple, si on exclus ses habitants. Je me plairais bien ici, je pense. Personne pour me juger, où je suis normale. Ou presque.
Je vois déjà le soleil qui se couche à l'horizon. Je n'ai pourtant pas l'impression d'être rester très longtemps dehors. Enfin, je ne sais pas quel heure il est, ni l'heure à laquelle je me suis réveillée, alors ce n'est peut-être moi qui est déboussolée.

Il me semble apercevoir une silhouette familière parmi la foule. Jake. Il se dirige vers la forêt. Je prend la décision de le suivre, malgré la mise en garde de Joyce. Je finis mon sandwich en une bouchée, et me dirige aussi vers la forêt, en essayant de rester discrète, et de ne pas me faire repérer.

Je le vois s'engouffrer dans les feuillages, puis disparaître. Je presse le pas, et arrive à l'endroit où je l'ai vu, mais aucune trace de lui. Je ne comprends pas. Il était encore là il n'y a même pas dix secondes. Soudain, j'entends un clinquement derrière moi. Je me retourne, soudain à l'affut. Le bruit recommence, je trouve sa provenance. Une sorte de grotte, aménagée derrière un banal rideau de lichen. Je passe entre celui ci, puis avance dans la pénombre. Je me rapproche du clinquement, auquel s'est ajoutée une respiration saccadée. Je parviens enfin à voir d'où vient ce son. Jake est debout face à la paroi de la grotte, les poings serrés et appuyés contre la paroi, mains et pieds et liés par des sortes de grosses menottes épaisses accrochées à la roche. Il respire durement, et de grosses gouttes de sueur coule le long de sa nuque. Il ne m'a pas entendu arriver.

- Jake ? soufflé-je d'une voix enrouée.

Il sursaute et se retourne brusquement.
Ses yeux sont jaunes, et des flammes dansent dans son regard.
Je viens de comprendre.
C'est la pleine lune ce soir, et le soleil est en train de se coucher.
Il va se transformer.

Oh mon dieu.